Accueil du site > Vegas Chronicles > Le club 839 > 8 - Las Vegas, Le Palms, Restaurant Alizé, Avril 2010
Tom était épuisé. Heureux, mais épuisé.

La douche froide remontait déjà à quelques semaines et force était de constater qu’elle avait eu des effets bénéfiques à bien des égards. Pour commencer, les relations avec Niamh s’étaient considérablement améliorées, il y avait même eu un vendredi où elle ne l’avait pas contraint à travailler sur sa chanson. Ils avaient commencé et puis la discussion avait dérivé sur des sujets variés. Niamh avait une conception de la vie toute personnelle. Rien d’étonnant pour un vampire. Elle semblait être une source inépuisable de connaissances en philosophie, religion, peinture, littérature, astronomie, en biologie moléculaire et en génétique, ce qui avait paru particulièrement curieux à Tom.

Son monde à lui, c’était la musique et il ne se sentait jamais aussi bien que devant un public à faire ce qu’il faisait de mieux : chanter. Niamh c’était différent, elle semblait savoir tout faire ou à peu près. Il en déduisit qu’elle devait être particulièrement âgée, même pour un vampire. Toutefois, il se garda bien de lui demander son âge, tout d’abord parce que ce n’est pas le genre de question que l’on pose à une Dame et ensuite parce qu’il estimait qu’une seule douche froide lui suffisait.

Autre conséquence de son bain forcé, son égo ébranlé par sa totale incapacité à se défendre contre l’assaut de Niamh, lui avait intimé l’ordre de reprendre le sport. Il avait rapidement perdu les 5 kilos que sa vie nocturne et décalée lui avait fait prendre. Il avait l’air franchement mieux dans ses costumes, même Nathan, qui ne prêtait pas particulièrement attention à ce genre de chose, lui avait fait la remarque.

Pour finir et ce qui était de loin le plus important aux yeux de Tom, son désir créatif semblait ne plus vouloir se contenter des murs étroits dans lesquels il avait été enfermé pendant les 20 dernières années. Au départ, il avait exclusivement concentré ce désir, sur l’écriture des paroles de la chanson de Marie. Puis rapidement, cela n’avait pas suffit et Tom s’était mis à griffonner des textes, des mélodies à toutes heures du jour et de la nuit n’importe où qu’il se trouve. Il avait finit par se procurer un petit carnet de poche, comme celui des flics des séries qui inondent nos écrans de télévision et ne s’en séparait plus.

Le travail avec Niamh avançait merveilleusement et Tom en venait parfois à souhaiter qu’il ne finisse jamais. Sentiment contradictoire avec l’impérieux désir de voir achever sa dernière œuvre commune avec Marie.

Ce bouillonnement, quoique enrichissant à de nombreux égards, ne l’en laissait pas moins épuisé. Aussi, lorsque Nathan lui transmit l’invitation au dîner de charité du Palms [1], pour le mercredi soir suivant, il n’était pas tout à fait enchanté. En voyant sa tête, son manager n’ajouta que deux choses :
 1 - C’est pour les enfants malades
 2 - Le boulot, c’est le boulot.
 Tom ne tint compte que du premier argument. Il mit son smoking préféré et se présenta le mercredi au restaurant Alizé.

Le cadre était parfaitement époustouflant. L’Alizé est un des établissements les plus prisés de Vegas pour deux raisons, tout d’abord on y mange merveilleusement bien. Et le restaurant se situant au dernier étage de la Palms Hotel Tower offre une vue panoramique sur Las Vegas, à couper le souffle.

Le gratin était là, la presse bien sûr, des critiques de cinéma, des acteurs, des artistes, des people, certains ayant traversés la moitié du pays pour se montrer et faire un gros chèque. L’hôtesse, une belle brune élancée, prit le carton qu’il lui présentait et se fendant du sourire radieux de circonstance lui souhaita la bienvenue avant de lui indiquer la table à laquelle il était invité à se rendre.

Histoire de ne pas avoir l’air tout à fait surpris, il demanda le nom et le « pédigrée » des autres convives.
 « Vous serez en compagnie de Monsieur et Madame Jefferson Donovan, Monsieur et Madame Ariston Drake et de Monsieur Blackwood. » Les noms des deux couples étaient tout à fait inconnus à Tom, mais pas celui de Blackwood. Avant que son cœur ne s’emballe pour rien, il demanda des précisions à la jolie brune.
 « Blackwood… Richard Blackwood ? »
 « Oui Monsieur, Richard Blackwood, le chanteur. » Si un photographe avait eu l’idée de prendre une image de l’expression de Tom à ce moment là, il aurait eu la meilleure photo de sa vie. Au nom de son idole de toujours, ses yeux s’étaient illuminés d’étoiles, un sourire béat façonnait ses lèvres et son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Il allait dîner à la même table que Richard Blackwood, il n’en revenait pas.

C’est à peine s’il sentit le sol sous ses pieds en se dirigeant vers la table que la charmante hôtesse lui avait indiqué. Quand il arriva, son idole était déjà là, en grande conversation avec un homme d’une soixantaine d’année à l’air jovial, qui s’avéra plus tard, être Monsieur Drake. Tom se présenta et bien évidemment ne put s’empêcher de faire part de son immense admiration à Richard Blackwood.
 « Appel moi Rick, petit », une poignée de main et une bonne tape sur l’épaule furent la réponse à son aveu. Il était aux anges.

Le dîner, suivi du spectacle, se passa dans un doux coton, Tom ne tarissant pas d’éloges envers son idole de toujours. Savait-il que s’il avait décidé de faire de la musique, c’était grâce à sa chanson la plus connue ? Non ? Et bien si. De son côté, Rick, lui dit connaître son travail et l’apprécier, ce qui manqua de tirer des larmes de fierté à Tom.

Ils en étaient à discuter des raisons du revers de célébrité de Tom et de la mort de Marie. Rick semblait comprendre exactement de quoi Tom lui parlait, ayant lui-même perdu sa femme et sa fille de nombreuses années auparavant, dans un accident d’avion dont il avait été le seul rescapé.
 « J’ai cru mourir de chagrin à l’époque. La musique ne m’était plus d’aucun secours. De toute façon rien ne sortait… » Avoua Rick.
 « Qu’est-ce qui vous a fait reprendre pied ? » Demanda Tom visiblement ému.
 « Oh, j’ai passé quelques semaines dans une maison de repos, sans grands résultats, il faut bien l’avouer. Et puis j’ai séjourné quelques semaines au Dunes à l’été 76…… j’y ai fait une rencontre étonnante. Et…. Enfin voilà, c’est revenu. »

Une rencontre étonnante au Dunes...

Visiblement Blackwood cherchait à présent à changer de sujet.
 « Et vous séjournez ? »
 « Au Bellagio……………. » Les deux hommes échangèrent un regard à la fois intrigué, suspicieux et complice.
 « Quelle chambre ? » demanda très sérieusement Rick.
 « 839, depuis 8 mois à peu près »
 Le regard de Richard Blackwood se fit plus perçant, il semblait vouloir scruter l’âme de Tom à la loupe pour en inspecter chaque centimètre carré. D’une façon ou d’une autre, Blackwood savait pour Niamh, comment pouvait-il le savoir ça dépassait Tom, mais il en était sûr, il le sentait. Alors Rick ajouta :
 « Vous l’avez rencontrée, n’est-ce pas ? »

C’est ce moment précis de leur conversation que choisit Madame Donovan pour renverser son verre de vin sur la veste de son mari adoré, éclaboussant au passage le pantalon de Tom. L’espace d’un instant, les deux convives s’étaient crus seuls au monde, partageant le même secret. Le retour à la réalité était brutal, poisseux et odorant.

La soirée se termina sans qu’ils puissent échanger un autre mot au sujet de Niamh. Vint le temps où il fallut prendre congés. Les convives du dîner partaient par petit groupes, sous les flashs insistants des paparazzis mobilisés pour l’occasion. Rick et Tom se dirigèrent de concert vers le vestiaire, la sortie et l’ascenseur, accompagnés du couple Donovan. Les portes de l’ascenseur se refermaient sur eux lorsque Madame Donovan s’aperçut qu’elle avait oubliée son sac.

Rick et Tom se retrouvèrent seuls. Ils commencèrent à parler en même temps.
 « Après vous » dit Tom.
 « On ne peut décemment pas parler de …… enfin on ne peut pas en parler dans un ascenseur, donnez moi votre numéro. Je vous appelle dans quelques jours pour convenir d’un rendez-vous Tom. D’accord ? »
 « Oui, bien entendu » Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent à cet instant au 8ème étage pour laisser entrer 3 autres voyageurs. La foule qui les attendait au rez-de-chaussée les empêcha d’en dire davantage, ils se quittèrent là.

Revenu dans sa suite du Bellagio, Tom était encore sous le choc. Il n’était pas le seul à connaitre Niamh ! Mieux que cela, son idole, le grand Richard Blackwood, l’homme aux 35 disques d’or, aux 15 albums de platine, LE Blackwood, l’avait lui aussi rencontrée. Pour le coup, Tom était complètement déboussolé. Il se dirigea derrière le bar de la chambre, la bouteille de whisky avait été remplacée depuis longtemps par un Glenlivet de 15 ans d’âge. Elle ne tint pas la nuit et l’esprit embrouillé de Tom non plus.

Le vendredi suivant, en remontant dans sa chambre après le show, Rick n’avait toujours pas appelé et Niamh l’attendait assise dans son fauteuil.
 « Et si nous nous attachions à finir ce dernier couplet, Tom ? » fut sa phrase de bienvenue.

notes:

[1] Le Palms : Hôtel-casino ouvert en 2001, situé à l’ouest du strip sur Flamingo Road